"Plus on reste dans la rue, plus c'est difficile de raccrocher"


LEMONDE.FR | 30.01.12 | 20h08   •  Mis à jour le 30.01.12 | 21h14
L'équipe de quatre bénévoles de la Croix-Rouge vient de débuter sa maraude d'urgence dans le 10e arrondissement de Paris, quand le véhicule s'arrête auprès d'une femme assise sous un porche d'immeuble. Ce soir-là, les températures sont froides mais pas encore tombées en dessous de zéro : le plan grand froid n'est pas lancé et la maraude n'intervient pas en soutien du Samu social pour aider les sans-abri à trouver un hébergement d'urgence, mais indépendamment, pour distribuer un repas, des vêtements ou échanger quelques mots.
Quelques mètres plus loin, un homme dort sur un morceau de carton, posé sur une bouche d'aération à la sortie d'un supermarché. Une bénévole le réveille doucement. D'abord surpris, l'homme, qui dit s'appeler Robert, devient rapidement loquace. Dans un français mêlé d'anglais, il explique qu'il est arrivé de Pologne il y a six ans et qu'il a terminé une mission dans le bâtiment. Devant lui, un jeu d'argent déjà gratté, qu'il rejette en plaisantant : il n'a rien gagné. "Le premier besoin des personnes qu'on rencontre c'est de parler, explique une bénévole. Elles passent la plupart de la journée sans que personne ne leur adresse la parole, (...) on doit même les arrêter sinon ça peut durer la nuit." L'équipe doit insister pour donner un thé à cet homme, qui tient à donner une plaquette de chocolat reçue par un passant pour remercier, en échange.
L'équipe est rapidement interrompue par un homme d'une cinquantaine d'années. Très enthousiaste, il apostrophe les bénévoles qu'il a reconnus : "Je suis tiré d'affaire, j'ai trouvé une place dans un foyer, raconte-t-il. (...) Je ne tenais plus à force d'être à la rue, à ne rien faire, je devenais fou. Dormir à la rue, à mon âge, ce n'est plus supportable." Il raconte comment il circule désormais dans le quartier et appelle le 115 "pour les autres" ; il y a trois jours, il dit avoir trouvé une place pour un sans-abri.
"ON VÉRIFIE SURTOUT SI LES GENS RESPIRENT"
Pour le groupe de bénévoles, hormis les périodes de renfort au Samu social, l'hiver change peu leur travail : "On vérifie surtout si les gens respirent, on regarde si dans le sac de couchage, les sans-abri bougent", explique une bénévole. "Mais il y a autant de problèmes de santé et de gens qui n'arrivent pas à se faire soigner le reste de l'année", précise sa collègue. Ces bénévoles, qui ne composent le 115 qu'à la demande des sans-abri, ne partagent pas l'enthousiasme de l'homme qu'ils viennent de croiser. Sceptique, la chef d'équipe estime : "Sur le long terme, l'hébergement d'urgence, ça ne sert à rien." Selon elle, donner une place sans accompagnement social est vain. "Si on pouvait le leur proposer, on le ferait tous les soirs."
Quelques rues plus loin, une femme se tient en retrait sur le trottoir. Les bénévoles vont à sa rencontre. A la rue depuis huit ans, elle refuse d'appeler le 115 pour des questions d'"hygiène" : "Avec mon RMI je paye l'hôtel, sinon je dors à la gare ou dans le train." Le soir, les bénévoles rencontrent essentiellement ceux qui ont choisi de rester dehors : échaudés par les foyers, "ils évoquent les bagarres, les puces, les vols", rapporte la chef d'équipe. "Ils ne savent pas où on va les amener, c'est compliqué pour les bagages et les centres sont souvent loin alors qu'ils doivent en repartir le lendemain matin", poursuit-elle.
Arrivés sur un grand boulevard, les bénévoles repèrent une cabine téléphonique dans laquelle sont amassés quelques sacs, à proximité, une femme d'une cinquantaine d'années déambule. Sitôt les bénévoles aperçus, les mots fusent, elle a le verbe vif, le commentaire rapide. Elle lit les journaux et s'indigne du traitement médiatique des sans-abri l'hiver. "Le pire, c'est pas le froid, c'est la pluie. Et la chaleur : ça remue la poussière, ça pue. En hiver, y a personne et on me vole pas mes affaires !" Celle qui affirme changer de prénom chaque jour  – "Joséphine", ce jour-là – demande des chaussettes aux bénévoles : on lui a volé ses deux dernières paires lorsqu'elle les faisait sécher quelques jours plus tôt.
"Sans emploi, pas de logement, déplore-t-elle. J'ai demandé un HLM pendant huit ans, j'ai rien eu, déplore-t-elle. Si j'avais eu un hôtel au début, j'aurais pu régler mes problèmes plus rapidement. Mais plus on reste dans la rue, plus c'est difficile de raccrocher."
Il est bientôt 23 h 30 et la fin de la maraude approche. De retour au camion, la chef de service note sur son registre le nom des derniers sans-abri qu'elle vient de rencontrer : deux jeunes hommes qui passeront la nuit dehors. Ils affirment avoir appelé le 115, en vain. 
Flora Genoux

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