Hébergement d'urgence: deux ex-SDF créent le 115 des particuliers Christian Jacquiau - Economiste | Lundi 13 Février 2012 à 18:01

Comme chaque année avec la vague de froid qui s'intensifie, la capacité d'hébergement des centres d'accueil  - déjà inefficiente en période climatique clémente - se retrouve totalement dépassée. 
Conséquence de ces carences chroniques, des milliers de personnes sont réduites chaque soir à se trouver un abri de fortune pour tenter d'échapper, dans l'indifférence générale, à l'hypothermie promise par la lame de froid polaire qui s'abat sur le pays. 
  
La bonne conscience collective tente de se rassurer en associant la situation des sans-abri à d'hypothétique troubles psychotiques ou encore à une addiction supposée à l'alcool, à la drogue ou aux médicaments, oubliant un peu vite que la première des causes de ce phénomène qui s'amplifie est un niveau de revenus insuffisant, le plus souvent causé par ce que l'on appelle pudiquement un accident de la vie : perte d'emploi, rupture sentimentale, divorce ou séparation, déprime, maladie, longs séjours en hôpital... Combien de Louise Wimmer croisons nous chaque jour sans les voir ? 
  
Près de soixante ans après l'appel à « l’insurrection de la bonté » lancé par l'Abbé Pierre le 1er février 1954, on meurt toujours dans les rues de la Ville Lumière et de ses faubourgs, dans les villes et villages de la patrie des droits de l'Homme et de la fraternité, dont la froideur de la statistique officielle nous rappelle qu'elle abrite tout de même huit millions de pauvres
  
Épisodiquement, lorsque le mercure de nos thermomètres s'obstine à stagner en dessous du seuil fatidique de zéro, des initiatives citoyennes tentent çà et là de réveiller l'opinion publique, le temps de quelque opération médiatique.
UN TROP CONFORTABLE FATALISME
En octobre 2006, Augustin Legrand, Pascal Oumakhlouf et Ronan Denecé décident ainsi de s’installer aux côtés de sans domicile fixe en vue de les faire témoigner et de relayer leur parole. 
  
Au delà de l'indignation hivernale soulevée par la médiatisation de la misère de voisins contraints de dormir sur l'asphalte gelé de nos belles cités, si proches et si présents qu'on ne les voit plus, les fondateurs des Enfants de Don Quichotte espéraient renverser la logique du trop confortable fatalisme, en amenant les politiques à prendre des dispositions pour en finir avec la misère des rues. L'argument Lehman Brothers n'avait pas encore été inventé pour justifier de l'inefficience des politiques. 
  
Très vite, les Enfants de Don Quichotte tentent d'installer un premier campement place de la Concorde regroupant des citoyens des rues et des volontaires solidaires, prêts à partager les conditions de survie des premiers, le temps d'attirer l'attention des médias. Ils seront aussitôt mis en échec par la police. 
Quelques jours plus tard, le 16 décembre 2006, les Enfants de Don Quichotte installent 100 tentes sur les berges du Canal Saint Martin à Paris, rendant cette fois toute charge policière extrêmement périlleuse, si près de l'eau glacée du canal. 
  
A quelques mois de l'élection présidentielle de 2007, cette action spectaculaire bénéficie d'une importante  couverture médiatique.
RESPECTER LES PAUVRES OU RESPECTER MAASTRICHT ?
Surfant sur une actualité dont il n'est pas encore passé maître du calendrier, Nicolas Sarkozy, président de l'UMP en pleine campagne présidentielle, prononce le 18 décembre 2006 à Charleville-Mézières ce discours débordant de promesses qui trouvera un jour sa place au musée de l'imposture politique : « Je veux, si je suis élu président de la République, que d'ici à deux ans plus personne ne soit obligé de dormir sur le trottoir et d'y mourir de froid ».
Impulsée par Jacques Chirac, alors Président de la République, la loi sur le « Droit au Logement Opposable  » (DALO), qui place le droit au logement au même rang que le droit à l’éducation ou à la santé, est votée à l'unanimité au Parlement le 5 mars 2007. Près d'un milliard d’euros doivent être débloqués en urgence pour financer l'ensemble des nouvelles mesures. La fin du mal logement ? Pas tout à fait. 
  
Le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy accède aux leviers de transformation de la société française en devenant président de la République française. En octobre de la même année, le budget du logement pour l’année 2008 est présenté au Parlement. La déception est à la hauteur des promesses du candidat devenu président. Les moyens permettant de mettre en œuvre une véritable politique publique du logement ne seront pas au rendez-vous. 
  
François Fillon, son Premier ministre reçoit alors Les Enfants de Don Quichotte, la Fondation Abbé Pierre, le Secours Catholique et ATD Quart Monde à Matignon pour leur expliquer que le gouvernement ne peut faire plus « au risque de ne pas respecter les critères de Maastricht ». Respecter les pauvres ou respecter Maastricht ? Il fallait bien choisir... 
  
Quelques temps plus tard, les obligations nées des accords de Maastricht seront pourtant allègrement piétinées au profit des banques et de la finance casino, érigées au rang de grande cause nationale. 
Vaincus par les promesses d'un piètre chevalier de la Blanche Lune, agité comme les ailes des  moulins à vent de leur illustre aïeul, Les Enfants de Don Quichotte s’en sont retourné chez eux.
UNE POLITIQUE DÉFAILLANTE
L'échec de la politique menée se traduit par des chiffres qui se passent de tout commentaire. 
Plus de 40 % en moyenne (avec des pointes de 65 % !) des demandes d'hébergement faites au 115, le numéro d'accueil et d'aide aux personnes sans abri (pour l'essentiel des couples avec enfants) n'ont pas été satisfaites en 2010, selon le premier rapport annuel de l'Observatoire national du 115 publié en décembre 2011. 
  
« Le budget alloué au Samu social a été ramené à
90 millions d'euros cette année [2011] contre 110 millions en 2010 (…) Beaucoup de personnes risquent de se retrouver sur le carreau, alors que la situation de l'hébergement d'urgence en Ile-de-France est dramatique. A Paris, chaque soir, 150 à 200 personnes ou familles appelant le 115 ne se voient pas proposer de solution à leur problème faute de places disponibles »
, avait expliqué quelques mois auparavant le docteur Xavier Emmanuelli, démissionnant du Samu social qu'il a créé en 1993. Rien n'a changé depuis.
LES CITOYENS PRENNENT LES DEVANTS

L'hiver est réapparu. Et avec lui son lot de compassion saisonnière. 
  
D'autres à l'instar de Cedric Lebert et de Brann du Senon, initiateurs du « 115 du particulier », tentent aujourd'hui de reprendre le relais de cet interminable combat. 
  
Leur initiative est née du constat de l'absence de particuliers volontaires à l'hébergement de sans abri dans les fichiers du Samu social. Avec en filigrane la question un brin provocatrice mais bien concrète : « Seriez-vous prêt(e) à accueillir une personne sans-abri chez vous ? ». 
  
Âgés respectivement de 41 et 51 ans, Cedric Lebert et de Brann du Senon, qui ne se connaissaient pas jusqu'alors, se sont rencontrés sur Facebook grâce à un groupe rassemblant « Les anciens de la rue » créé par Cedric Lebert. Ce dernier, après avoir connu la rue et les squats, vit aujourd'hui dans une petite ferme près du Mans (72) alors que Brann du Senon vit dans une caravane stationnée dans les bois près de Nemours (77) après avoir passé un an dans la rue. 
  
L'idée de départ est d'être des facilitateurs faisant circuler les informations, de collecter les offres et de les mettre à la disposition des associations grâce à Internet. 
  
Au-delà de l'effet d'annonce et de l'interpellation des politiques, le « 115 du particulier » se met en place au rythme de ses modestes moyens. Le premier accueil, l'hébergement d'un travailleur pauvre - salarié sans toit - expulsé du local qu'il squattait quelques temps auparavant, a eu lieu le mercredi 8 février au sein d'une famille qui préfère pour le moment garder l'anonymat. 
  
Depuis les choses s'accélèrent et les initiateurs de l'opération ont reçu des offres d'hébergement pour une, deux voire trois personnes ou encore pour des familles avec enfants. Cedric Lebert et de Brann du Senon ne veulent pas d'argent. Que du concret ! Chacun propose ce qu'il peut : des couvertures, une soupe, des vêtements secs et chauds, une douche... 
  
Plus de 1000 personnes ont rejoint le groupe en quatre jours. Et le phénomène grandit de jour en jour. 
Face à la saturation des centres d'hébergement et à la vague de froid qui touche actuellement la France de simples citoyens, une fois de plus, tentent avec des moyens qui sont les leurs (Internet et trois bouts de ficelle...) de suppléer aux carences d'un État démissionnaire. 
  
Cela améliorera peut-être la situation de quelques sans-abri pour un soir, quelques jours, peut-être semaines. 
  
Mais qu'en sera-t-il lorsque que le thermomètre aura de nouveau franchi les quelques degrés qui font que les sans-abri redeviennent invisibles ? 
  
Qu'en sera-t-il lorsque lorsque l'enthousiasme se sera émoussé et que l'hébergé d'un soir sera devenu un petit peu trop encombrant ?
UN ETAT DÉMISSIONNAIRE
La détresse ne se cantonne pas aux pics climatiques hivernaux. Le dernier rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal logement estime à 133 000 le nombre de personnes sans domicile fixe en France et à 685 000 le nombre de personnes privées de domicile personnel, accueillies en résidences sociales, vivant dans des abris de fortunes ou en chambres d'hôtels. 
  
La solidarité exemplaire de citoyens qui n'acceptent pas le mépris du personnel politique face à la misère et au désespoir, ne saurait se substituer aux obligations de la société envers ceux de ses membres qui en ont été exclus. 
  
Le recul de l'État et des services publics, savamment orchestré par les puissances financières anonymes qui ont pris le contrôle du monde, conduit chaque jour davantage à transférer sur l'individu ce qui est du ressort du collectif. Jusqu'à l'inacceptable. 
  
Ce sont les bénévoles qui achètent des pelles, des sceaux et des cirés pour nettoyer les plages au péril de leur santé lorsqu'un pétrolier s'échoue sur les plages de Bretagne ou d'ailleurs. 
  
Ce sont de simples citoyens qui se cotisent pour assurer une recherche médicale ciblée dont les laboratoires privés empocheront un jour les dividendes
  
Ce sont les bénévoles qui chaque soir s'activent pour marauder ou assurer la soupe quotidienne de centaines de milliers de citoyens qui sans eux n'auraient rien pour se nourrir. 
  
Ce sont des bénévoles qui, avec leur « 115 du particulier », tentent  aujourd'hui de venir en aide à une population de sans-abri sans cesse grandissante. 
  
Ce sont des citoyens, indignés avant d'être révoltés, qui tentent chaque jour plus nombreux de suppléer aux carences d'un modèle économique à l'agonie. 
  
Toutes ces actions nécessaires et sympathiques ne sauraient nous faire oublier que rien n'est fait pour éradiquer les causes de cette détresse galopante. 
  
Elles ne sont que le thermomètre de l'incompétence et de l'incurie de ces politiques pseudo représentants du peuple qui aux ordres des puissances financières qui nous gouvernent dans l'ombre - les fameux marchés - s'évertuent à affaiblir, jour après jour, un État anesthésié autant que désarmé. 
Pourquoi sont-ils si nombreux ceux qui s'étripent pour conquérir le pouvoir, s'ils sont à ce point incapables de l'exercer ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire