les 11 propositions de Clocheman !!!!







Sans abris et centres d'urgence


En réponse aux associations d'aide aux sans-abri, le Premier ministre François Fillon a promis un contrat sur l'hébergement d'urgence avant le 15 janvier. Un ancien SDF, Jean-Paul Fantou, avait mis 11 propositions contre l'exclusion, dans un livre paru en 2005. Elles sont toujours d'actualité... 




"Si on veut vraiment changer les chosessi on veut vraiment changer le regard que le monde porte sur nous et, ainsi, espérer nous offrir un avenir, il faut prendre des mesures concrètes d'humanisation, et non se contenter d'en parler.
Le parcours du combattant de l'exclu 
comporte plusieurs stades.
Pour le premier, les centres d'urgences ou asiles de nuit, quelques réformes de bon sens permettraient d'humaniser" l'institution et de sauver de nombreuses vies.

1.    
Il faut abolir le système actuellement en place qui veut que nous ne puissions pas  rester dans ces centres plus de quinze jours. C'est une limite absurde ou vexatoire qui ne devrait pas exister. Ce dont nous avons besoin, c'est que ces centres nous acceptent sans limite de temps. C'est le point de départ pour que nous puissions acquérir ce dont nous manquons tant et, ainsi, engager un processus de réadaptation à  long terme.

2.    
A chaque réunion de ces centres,  les exclus devraient être représentés par d'autres exclus. Si ces centres sont faits pour nous, pour nous venir en aide, la moindre des choses est que nous puissions dire ce qui nous parait manquer ou ne pas fonctionner.
3.    
Pour abolir la surgetthoiation,
 ces centres devraient accepter tous les cas de figure qui se présentent : femmes seules, hommes seuls, couples, personnes avec animal, etc. La rue est aussi diverse que l'humanité elle-même. Personne ne songerait à  imposer de ségrégation dans les immeubles. Pourquoi devrions-nous la subir ? Aurions-nous cessé d'être humains pour qu'on nous parque, les hommes d'un côté, les femmes de l'autre ?
4.    
Il faut abolir les dortoirs,
 pour respecter le droit à  l'intimité des exclus. Là  encore, il s'agit d'un principe élémentaire. Ces dortoirs ne nous permettent pas de sortir de la rue, ils nous y renvoient. Il nous font comprendre que nous ne sommes rien, que du bétail que l'on parque pour la nuit, et ils attisent notre révolte.
5.    
Chaque centre doit être pourvu de chambres d'enfants,
 afin que l'exclu qui y a résidence puisse exercer son droit parental en cas de séparation. L'une des raisons majeures qui conduisent un gars dans la rue est un divorce malheureux suivi d'une séparation d'avec ses enfants. Or les conditions qui lui sont faites dans la rue sont telles que très vite il se trouve dans l'impossibilité d'exercer son droit de garde et que ce qui l'avait provisoirement poussé à  la rue devient, pour lui, une condamnation définitive.

6.    
En période d'hiver,  il faut que l'on puisse partir vers dix heures et non vers sept heures comme c'est le cas actuellement. On m'explique qu'on nous jette dehors pour le ménage. C'est un faux problème. Il suffit de prévoir une pièce où l'on pourrait se rassembler et libérer ainsi les parties communes.
7.    
Il doit y avoir une meilleure formation du personnel,
 notamment des gardiens de nuit, et que le personnel associatif nous manifeste plus d'humanité. Qu'il nous accepte comme nous sommes, hommes et femmes, et qu'il arrête de nous traiter en irresponsables ou en « criminels ». Tout le monde sait que se retrouver à  la rue n'est pas un crime. Pourtant, les règlements et les comportements à  notre égard ressemblent étrangement à  ceux des prisons ou des maisons de redressement. Est-ce la meilleure manière pour nous aider ?
8.    
Il est nécessaire que les centres conservent des dimensions humaines,
 destinés  recevoir entre vingt-cinq et quarante personnes. Comme pour les quinze jours ou les dortoirs, cette exigence a pour but de permettre à  l'exclu de se sentir mieux, considéré comme un homme et pas comme une bête, et ainsi de pouvoir commencer sa reconstruction.

9. 
   Il faut que le personnel minimal soit constitué par : un psychologue, un alcoologue, un médecin, une assistante sociale pour remplacer les matons qui nous répriment. De deux choses l'une : soit on veut nous aider à  nous sortir de notre misère, soit on se contente de la gérer. Mais si on choisit de simplement la gérer, notre misère va coûter beaucoup plus cher à  la collectivité, puisque, en agissant ainsi, on nous maintient dans la rue à vie. Il est vrai que la rue ne fait pas de cadeaux et que nous y mourons. Mais alors, il faut avoir le courage de l'avouer : nous gérons votre misère jusqu'à  ce que vous creviez.

10.    
Chaque centre dit « d'urgence » doit être pourvu d'un lieu adéquat pour pallier la clochardisation à l'extrême et éviter la ghettoisation. Il y a malheureusement toutes les sortes de dégradations dans la rue. Certains d'entre nous se trouvent dans des états si déplorables que même nous, nous avons du mal à  les accepter. Faut-il pour cela les abandonner ? Ce sont nos frères sur lesquels le malheur s'est acharné.

11.   
 Il faut que ces lieux soient pourvus d'un vestiaire pour pouvoir nous changer car l'exclusion fait que nos habits sont très endommagés, et une annexe doit être créée près du centre pour le repas de midi, afin d'éviter l'éloignement qui remet en cause la réadaptation. Le premier problème du clochard est l'absence de repères, l'instabilité. Occupé à  courir partout pour régler nos problèmes, nos papiers, pour trouver de quoi manger et où dormir, nous menons une existence de bête traquée. Nous qui n'avons rien, aucun endroit pour nous reposer, pourquoi nous obliger encore à  traverser la ville pour manger, nous habiller ou dormir ? Enfin, pour éviter la surconsommation d'alcool pendant l'attente avant d'entrer au centre -où par conséquent les exclus boivent avec excès-, il faut qu'ils puissent boire en mangeant. C'est une question de vie ou de mort. L'interdiction d'alcool dans les foyers est un règlement hypocrite qu'il faut casser. Tout le monde sait très bien qu'une fois hors du foyer, tous ceux à  qui on a interdit de boire vont picoler encore plus.

Voilà  quelques-unes des réformes, du simple bon sens, qu'il faudrait appliquer aux asiles de nuit et qui apporteraient, dans les faits, cette humanisation."


Extrait de Clocheman, de Jean-Paul Fantou, Ed. Presses de la Renaissance, 281 p. ; 18  2005

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